vendredi 13 novembre 2009

Classé 11ème au général malgré de nombreux problèmes, Rémi raconte sa course...

"En route pour le Brésil 2011: merci à vous tous !"

Non, le titre, c'est une blague.

Bon, me revoilà au travail, qui finalement n'en est pas un : c’est plutôt la continuité de la transat par le biais de voiles à dessiner et à fabriquer pour des clients… Sauf que jusqu'à maintenant, je faisais des départs par procuration, cette fois, je l'ai fait !

C'était mieux qu'un rêve : dans mon rêve je la voyais dure, c'était encore plus dur que dans mon rêve, mais ça n’a jamais tourné au cauchemar.

La première étape était une grosse aventure.

J’ai été trop enthousiaste, peu lucide lors du départ. Je prends la mauvaise bouée…

Ensuite, je cavale toute nuit pour récupérer le temps perdu, bord à bord avec Thomas Ruyant. Bonne sensation, le bateau va vite.
Sur départ au lof, le bout dehors explose. Je laisse partir Thomas. 3 heures de réparation et je repars avec un bout dehors raccourci mais je peux utiliser les spis.

Le passage du cap Finistère se passe plus calmement que prévu. Juste une petite erreur de navigation, un way point mal saisi me fait trop me rapprocher de la Corogne.

Glissade sous petit spi. Le vent forcit, la mer se creuse. Affalage du spi, j’envoie le solent avec 1 ris, je prends 3 ris dans la gv. La mer est vraiment très dure pour le bateau. Une houle très raide et très profonde, liée à un clapot de travers font que le bateau accélère sur les surfs, mais vole et tape à grande vitesse sur cette mer désordonnée. La priorité, depuis le bout dehors cassé, c’est d’arriver à Funchal.

Je passe la nuit dans ces conditions avec en plus le rail de cargo montant le long du Portugal à ma gauche et le rail descendant à ma droite.

Le lendemain après midi, le vent se calme et la mer aussi. Je renvoie de la toile. 2 ris dans la gv et petit spi. Ca va très vite. Il fait nuit. Je ne vois pas la dérive sous le vent descendre doucement dans son puits.

Une fois que la dérive est trop basse, le puits ne supporte plus le bras de levier trop fort : il plie et s’arrache. De la barre, je me jette à l’intérieur, dégage le puits et la dérive qui frottent contre la coque. L’eau s’engouffre. Je bourre un spi dans le trou. L’eau entre toujours. J’injecte de la mousse ; trop de pression, elle ne colle pas. Dans 1 minute, il y aura trop d’eau dans le bateau pour que je puisse le vider. Ne pas abandonner le bateau, arriver à Madère. Je vire pour mettre le bateau sur le coté et sortir le trou de l’eau. Ouf, ça marche, l’ouverture se retrouve suffisamment haute au-dessus de l’eau. Je suis à mi-chemin entre Madère et le Portugal. Je n’ai pas le matériel pour remettre le bateau en marche. J’appuie sur le bouton rouge de ma balise de positionnement. J’indique à l’organisation que je suis hors course et que je demande assistance. Un bateau accompagnateur devrait être là dans 1 jour ou 2.

En attendant, sieste.
Au réveil, il fait toujours nuit. Ce n’est pas dans mon habitude de me faire assister. Je décide d’essayer de remettre le puits de dérive endommagé dans son logement et de boucher le reste du trou avec un pare battage rectangulaire. Je coupe la gaffe pour presser dessus. Je pompe.
Une fois le bateau à plat, l’eau pénètre moins. Je peux remettre en route.
J’enclenche le bouton vert de la balise pour dire que je me débrouille et que je suis à nouveau en course.
Je passe quand même pas mal de temps à pomper.

Les 15 jours à Funchal, dorloté par Papa et Maman, ont été tout juste suffisants pour réparer.

Pour la deuxième étape, je partais pour faire une course. Mais une gv trop optimisée m'a un peu coupé les pattes. 100 % de ma faute : trop légère et pas validée.

Aux vacations journalières de 11 h, j'écoutais la météo mais je coupais juste avant qu’ils annoncent les classements pour ne pas "psycoter" et pour faire ma propre course.

Les 3 réparations successives de ma grand voile (et oui, malgré mon savoir-faire, je n'ai pas réussi à endiguer la lente déchirure du premier coup) m'ont emmené dans le dévent de l'île des Canaries Palma où j'ai passé la nuit à essayer de me désengluer. La tête de la course ne m’attend pas.

Ensuite, descente rapide jusqu’au Cap Vert suivant ma propre route alors que les autres préféraient longer la Mauritanie afin de profiter de plus de vent.
Pas grave, la route est encore longue.

Passage dans les îles du Cap Vert où à cause d'un ciel voilé (qui sera la cause d'autres soucis ultérieurs) je ne vois pas la moindre terre. Certains ministes, suite à une escale forcée à Mindelo ont décidé de s'acheter un bout de terrain ; Elles doivent être belles ces Iles...
Bon, retour à la course. Passage réussi en évitant le dévent de Fogo (3000 m d'altitude, dévent sur 150 milles, j'étais documenté)

Toujours aucune info sur la position des autres et sur mon classement.

La voix résonnante et nasillarde de Denis Hugh (Directeur de course) à la BLU annonce lors de la vacation de 11 h (cette vacation, c’est le dernier lien lorsque tu es hors de portée de VHF -15 milles- des bateaux accompagnateurs) un pot au noir immense qui monte vers nous. Aux sortir des iles du Cap Vert, il faut déjà décider de ton placement pour l'attaque du pot au noir. Ce sera entre le 28 et le 29 ° ouest sachant que la porte se situe entre le 25 ° et le 30°. Choix extrême donc mais je le sens bien. Rien de structuré, que des sensations sur ce bateau. Un vrai dériveur, ça glisse. De toute façon j'ai perdu mon speedomètre le 2eme jour de la 2eme étape. Il ne me donnait plus d'infos vitesse. Ca parait anodin (débrouille toi sans !) mais pour évaluer la force du vent réel la nuit, pour que le pilote automatique fonctionne parfaitement, c'est indispensable.

La date, c'est le 11 octobre. Je me doute que suite à ce choix très ouest, je vais perdre le bateau accompagnateur Solo avec qui j'entretiens des relations bi-journalières presque depuis le départ. Il accepte de passer le message pour Corentin en différé. Il le note sur un post-it et le colle sur sa table à carte. Ce détail me fait réaliser combien je me suis fondu dans mon bateau : un post-it, révélateur suprême du confort : il faut avoir les doigts secs pour manipuler ce truc, un crayon à disposition, une table à carte et en plus il va rester collé jusqu'au 17 octobre, anniversaire de Corentin. Tout ça n'existe pas sur un mini mais ce n’est pas grave, on y est bien quand même.

Bon, me voilà en route pour le 29eme ouest. C'est toujours un peu brumeux, pas de soleil franc. Vent facile, 15/20 nœuds. Gérer quelques bascules alizéennes.
Je suis impatient de me confronter au pot au noir, dernier point délicat avant le sprint final. Ma famille me manque.

Une fin d'après-midi, je le vois enfin au loin. Il est là comme la première fois où un homme l'a traversé, fidèle à sa position. Incroyable ce phénomène météo aussi stable et prévisible ! C'est probablement ce qu'on apprend en première année de météorologie.

Enormes nuages qui montent à des hauteurs vertigineuses, avec des éclairs. Une fin d'alizé me pousse dans un corridor où les murs montent jusqu'aux limites de l'atmosphère. Mais au fond de ce corridor, pas d'hémisphère sud pour l'instant, juste un autre mur.

J'ai enfin compris ce que signifiait le ciel me tombe sur tête. Une nuit tellement noire que mon feu de tète de mât fait de diodes me paraît lumineux comme un projecteur de stade de rugby et une telle quantité d'eau qui tombe qu'elle t'appuie réellement sur les épaules.

Bref, après un peu de tricotage entre les grains et une autre nuit à me rappeler Astérix dans "le Devin" je touche le nouveau le vent de sud. Le vent qui vient directement de l'anticyclone de Sainte Hélène.

Et là, la loi de Murphy ; le contrôleur de charge des batteries fait la tête. Mais vraiment la tête car vu mon niveau en électricité et malgré le briefing de Papa à Madère, mon testeur me diffuse une tête qui sourit quand tout va bien et une tête qui pleure quand ça va mal. De plus, il m'annonce que mon panneau solaire le plus puissant ne produit plus rien. Ajoutez à cela 6 jours de soleil pas très franc du collier et 2 jours de pot au noir, résultat : plus de batterie. Enfin presque. Donc, sachant qu'après le pot au noir, il reste 1300 milles, que pour cette distance en solitaire, il me faut de l'énergie pour mon pilote, je dois rationner l'énergie, en attendant que mes derniers panneaux solaires rendent le sourire à mon testeur.

L’energie sur un bateau de course, c’est le nerf de la guerre. La solution chère et sûre : la pile à combustible (le méthanol). La solution qui sent mauvais : le groupe electrogène. La solution écolo : Le panneau solaire. Lors de la remise des prix officieuse, mes pairs m'ont descerné le prix de l’écologie pour mes économies d’énergies.

Les nouveaux pilotes consomment énormément. Ils coûtent cher (jusqu’à 28 000 euros) et obligent à embarquer des systèmes de production d’électricité très cher également. Dérive de la philosophie initiale de la Classe Mini.

Par chance, la sortie du pot au noir se caractérise par 3 jours de prés bon plein. Pour ceux qui s’y connaissent en voile autant que moi en électricité, cette allure permet pour un bateau bien équilibré et bien réglé de naviguer en attachant la barre tout en gardant son cap seul par rapport à la direction du vent (toujours pas très clair) – toujours pour économiser l’énergie. Ceci eut pour effet une terrible stratégique : je suis passé 80 milles trop à l'est de Fernando de Norhona. Sans cela, j'aurais peut-être fini avec Olivier Avram qui croise 3 milles devant moi une centaine de milles avant Fernando... Regrets éternels.

Le passage de l'équateur me rendit 2 services : un soleil de plomb permit à mon testeur de retrouver le sourire et mon offrande à Neptune (tradition lorsqu'on passe l'équateur pour la première fois) m'a permis de me débarrasser d'un talon de jambon madérien avarié qui m'avait filé la colique. Neptune ne m’en à pas voulu, je suis là.

La suite, c'est mille milles sans connaissance de mon classement mais à fond.
Toutefois ce tronçon m'a paru long et peu intéressant.

L'arrivée est un moment étonnant.

Elle te fait réaliser que tu n'as pas fait que des ronds dans l'eau devant la Rochelle pendant 1 mois.
Surtout Salvador de Bahia et sa barre d'immeubles que tu vois 20 milles avant d'arriver.
Et ce sentiment étrange d'être parti la veille.

Sur mon livre de bord, je notais les gens que je devais remercier au fur et mesure que j'utilisais leur cadeau ou pensais à leur action avant le départ. J'ai laissé le livre de bord du 630 à bord du bateau, à Salvador – où il va embarquer sur un cargo. Désolé pour les oublis.

Bien sûr Sylvie est celle que j'ai le plus épuisée avec cette histoire. Merci.

Caroline et Corentin Corre qui m'ont donné beaucoup d'énergie.

Corentin et Laurène pour s'être occupés de Sylvie.

Maman et Papa pour leur présence à Madère même si je n'y étais pas vraiment, moi, à Madère.

Seb pour tout et plus encore.

Sophie pour la pharmacie où je n'ai utilisé qu’un truc pour la tête et un truc pour la colique et surtout pour cet ensemble caleçon-sweet d'un confort extrême. Je n'ai pratiquement mis que cela pendant 20 jours. Même sous les tropiques.

Les Rabier et les Harmand Benoît pour leur engouement à La Rochelle et pendant toute la course. Votre présence m'a vraiment fait du bien pendant les moments difficiles. Je ne pensais pas être enclin à cette sensiblerie.

Les dessins de Chloé et Quentin qui ont participé à cet état.

Les Pessoto également pour leur présence au départ et Lionel pour avoir dédramatisé le départ raté.

Brice et Vincent pour leur accompagnement au départ et pour m’avoir ramené sur la bonne bouée.

François et Hugo pour m'avoir fait découvrir la voile.

La Classe de Laurène pour son enthousiasme.

Mon fan-club ( belle-famille, famille, oncles, tantes, cousins, amis de la famille, collègues de travail) qui ont suivi cette histoire que je pensais solitaire. Merci.

Bienvenue à Manon

Rémi

PS : je partais pour une quête de quelque chose d’intérieur, comprendre quelque chose.... C'est des bêtises tout ça, j'ai juste passé un moment inoubliable. Ah si, en électricité, je commence à comprendre.

mercredi 11 novembre 2009